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Curieuse randonnée / Louise

Atelier d’écriture en période confinée N°3


Ecrire un texte en partant de la première phrase d’un livre et le terminer par la dernière phrase du même livre.

Première phrase :

Tout autour d’eux la cacophonie de la cupidité s’adonnait à ses excès les plus éclatants et extrêmes.

Dernière phrase :

Elle continua de rouler.


Curieuse randonnée


«Tout autour d’eux la cacophonie de la cupidité s’adonnait à ses excès les plus éclatants et extrêmes» Sœur Cécile referma son livre. La cacophonie de la cupidité ? …qui s’adonnait à ses excès les plus éclatants et extrêmes… Pfffuu cette phrase me donne le tournis… je vais aller faire un tour au jardin.

Sœur Cécile emprunta le grand escalier des Méritants. Une main sur la rampe et les yeux ailleurs… elle était absente. Elle levait un pied après l’autre en marquant un temps dans le vide avant chaque posée, répétant à haute voix… « la cacophonie de la cupidité… la ca-co-phonie… »

La construction de cette phrase la laissait songeuse si bien qu’elle rata une marche et se retrouva en bas plus vite qu’elle ne l’aurait voulu. Dans cette cascade virevoltante Sœur Cécile avait réussi a garder une main sur la rampe mais son postérieur lui, n’avait pu échapper à la loi de la gravité, et s’était retrouvé à cheval sur la dernière marche. Sa robe s’était retroussée et laissait apercevoir ses bas gris de soie épaisse qu’elle cacha immédiatement en se relevant d’un bond, l’œil en coin, furtif. L’honneur est sauf, personne ne l’avait vue.

Remettant sa cornette à l’endroit on pouvait l’entendre maugréer : « La faute à cette imbécile de phrase ». Sur le champ, elle décida de s’en débarrasser en la fourguant à Sœur Sophie. Elle est plus savante que moi, elle saura quoi en faire. C’est légèrement claudicante qu’elle s’en alla la trouver. Sœur Sophie s’empara de cette construction ardue selon une coutume du Maghreb appelée le téléphone arabe en rapprochant son oreille de la bouche de Sœur Cécile. Perplexe elle fit répéter la phrase, ce qui finalement l’embrouilla davantage, si bien que cela devint :

– Autour d’œufs caquette le faux ni la pitié se donne et ses excès laids plus éclatants qu’extrêmes –

La bibliothécaire de « La Lettrine à thé » avait fait des études de philosophie et était bien décidée à dépatouiller le sens de cette formule. Elle tenait à son grade d’érudite en matière de compréhension des textes alambiquées. Aussi ni une ni deux, elle fonça à son lieu et s’entoura de tous les livres nécessaires à un déchiffrage en bonne et due forme.

– Autour d’œufs caquette le faux –

« Voyons voir… je crois que j’y suis… Bien-sûr, c’est très clair ! On ne peut plus clair ! : – Dès la naissance le mensonge se répand ! – Se tenant la tête dans les mains Sœur Sophie, pourtant armée de patience, trouva la suite plus ardue… Il fallait qu’elle trouve. Elle se voyait déjà subir les moqueries de ses consœurs. Elle symbolisait le Savoir. Il fallait tenir son rang.

n pouvait voir les livres s’entasser sur la table, du simple Dictionnaire Latin au traité sur la Phénoménologie de l'Esprit. On entendait les pages se tourner à un rythme effréné. Mais il fallut que s’ajoute à la science un peu de la lumière divine pour l’entendre s’écrier : « Mais oui ! Voilà ! C’était enfantin ! : – Dès notre naissance le faux est autour de nous, mais la pitié nous est donnée d’en chasser les excès en tout genre ! –

Elle voulut se lever précipitamment pour annoncer, non sans fierté, la bonne nouvelle à Sœur Cécile, mais voilà que son chapelet s’était pris dans l’angle de son bureau et valsa en laissant s’égrainer non pas des prières mais ses grains un à un sur le parquet croisé de la bibliothèque. Le tout emporta Sœur Sophie dans une glissade remarquable avec une technique du lancer de bras, dite du Moulin à Vent. Toujours est-il qu’elle finit plaquée contre le rayonnage de Théologie, la joue écrasée sur le quatrième volume des 7 péchés capitaux : - l’Orgueil. ans un grand éclat de rire elle se décolla de la tranche en cuir, rassembla les grains éparpillés, et choisit de préférer à sa vaniteuse trouvaille, transmettre la formule à Sœur Susanne dont le plaisir infini était de déchiffrer les énigmes. Tellement… que dans un élan d’amour, Sœur Sophie lui dirait qu’elle-même n’a pas réussi à en découvrir la signification.

Ainsi la phrase énigmatique passa de bouches à oreilles, mutant en une expression de plus en plus courte, devenant tout naturellement de plus en plus compréhensible. Toutes sœurs que l’on soit, nous n’en demeurons pas moins Humaines, et comprendre reste plus supportable que méconnaître.

C'est ainsi que pour sœur Marthe la formule itinérante devint :

– On tourne sa casquette la faune et la pie accélèrent plus, et éclatent à l’extrême. –

Pour ce qui est de sœur Bénédicte la phrase supporta un raccourcissement dû à une audition déficiente, commune à son grand âge, et qui la rendit en un sens plus proche de sa vocation.

– Honte à la faute qui claque dans la haine –

Cette dernière expédition devint pour sœur Ange – Monte à la crête –

Elle crut alors que c’était un message pour sœur Cécile qui était chef de chorale, et seule habilitée à pendre le vélo pour aller à La Clé De Sol, unique magasin de musique se trouvant justement sur la crête du village.

Sœur Cécile enfourcha donc son vélo tout en sachant qu’il n’était nullement question de se rendre à la Clé De Sol, et que ce résultat n’était que le fruit d’une accommodation de l’âme, puisqu’au au fond, chacun s’appropriait un sens qui le rendrait moins sot. Sans le savoir Sœur Cécile avait ce matin, lancé des mots itinérants, randonnant de bouches en oreilles, et qui d’une chute, fabriquèrent un vent de liberté.

Il n’y avait aucune course à faire en haut de la crête. Sœur Cécile le savait bien. Mais elle ne résista pas au plaisir de faire une petite balade à bicyclette. Le vent frais dans ses oreilles valait bien un petit plaisir cupide. Elle continua de rouler.


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