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De l'encre éternelle / Louise

Atelier d’écriture en période confinée N°2


Ecrire une histoire courte à partir d’une photo


De l'encre éternelle


Mr Polignac de Pontheu veut qu’on lui fabrique de l’encre plus foncée. De l’encre inaltérable. De l’encre éternelle. Qu’allait-il en faire ? Des siècles que depuis même avant la Ste Croix, on fabrique dans « La Lettrine à Thé » de l’encre Violette. De l’encre si douce et parfumée qu’elle fait la renommée de la région. Même les pays de l’autre côté de la mer sont sur liste d’attente. Branle-bas de combat mes Sœurs de Calames Affutés, faut se mettre au chaudron, sortez les livres de magie, n’en déplaise à dieu faut s’y mettre avant mercredi.

Trois jours venaient de passer rien encore n’était sorti de notre laboratoire à herboristerie. Sœur Thérèse avait bien tenter d’en faire avec de la réglisse mais sitôt la plume trempée dans l’encrier elle nous appelait pour qu’on lui décolle les doigts. Sœur Marthe avait tenté avec de la Berce du Caucase elle avait attrapé une urticaire géante sur la figure rien que de l’inhaler. Nous redoublions bien d’efforts mais Sœur Jeanne était revenue de la chaufferie avec la cornette enflammée en voulant jeter du suc de Fraxinelle dans le distillateur !

Si nous nous agitions de la sorte c’est parce que Mr Polignac de Pontheu était un architecte véreux qui faisait la pluie et le beau temps sur la ville. Un voyou de première qui taquinait l’absinthe à ne jamais en refuser un verre. Il avait déjà fait sauter, entre autres, le Pont Couvert d’Entrelacs parce qu’il ne supportait plus de voir passer les vaches de Gracient. Si nous ne nous exécutions pas il menaçait de faire fermer le cloître. Plus de cloître, plus de potager. Nous péririons de faim. Nous étions au supplice à redoubler d’imagination pour sauver notre garde-manger.

C’est la dernière fois que je le fais je le jure ! Dieu me le pardonne. … L’étiquette n’était pas tout à fait sèche, je la glissais délicatement dans mon missel au chapitre de la traversée du désert, ça accélérerait le séchage. Je tenais beaucoup à ce missel parce que sa couverture amovible en cuir de yack du Kazakhstan me permettait de remplacer mon livre de prières par un Rouletabille, seul moyen de me tenir éveillée pendant les Matines. Je glissais la fiole dans mon cartable en priant le ciel que Sœur Roberte ne se lève pas comme de coutume, pour se faire en catimini un petit rab de fromage de chèvre.

on pantalon de pyjama en flanelle suffira-t-il à donner le change… J’enfilais le pardessus du Père Benoist oublié la veille, pompette qu’il était d’avoir trop goûté à l’eau de vie. Quelle heure est-il ? Une heure. Je roulais mes cheveux sous le béret. Trois kilomètres. Faut que je sois de retour pour le passage en chambres de la Mère Supérieure. Mon missel ! C’est bon je l’ai… Maintenant il fallait faire vite.

Seigneur, faites qu’on ne m’arrête pas. Il faisait sombre et froid. On n’entendait que le frottement de la flanelle entre mes jambes. J’empruntais les bords du quai. Assez vite j’aperçu la quarantaine de marches que je dévalais une à une dans sa partie éclairée par le réverbère.

Mr Polignac de Pontheu ne dormait pas, se préparait-il à sortir ou avait’il oublié d’éteindre ? Mes mains tremblaient j’eus préféré de froid. Je sortis le missel et en tirai fiévreusement l’étiquette. Elle était à s’y méprendre. Fébrile je la collais sur la fiole que je déposais devant la porte du véreux. Le cœur cognant ma poitrine je pivotai prestement les talons et m’en allai sans demander mon reste ni à dieu ni à diable.

Demain nous en aurions fini. Je prierai deux fois pour Mr Polignac de Pontheu. Un Ave, un Pater.

Cette absinthe-là était inaltérable. Il l’emportera, j’en confesse…jusqu’à l’éternel.

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